de LMO42 » Ven 24 Jan 2020 20:21
Personnellement, je l'ai enfin vu (1917), et j'ai adoré. J'ai trouvé ça somptueux.
Je m'attendais à un excellent exercice de style de la part de Mendes et Deakins afin de m'en prendre pleins les mirettes, mais je me n’attendais pas à voir en plus un récit aussi profond, émotionnel et puissant, et accompagnée d'une excellente musique lyrique (parfois onirique) de Thomas Newman (j'étais même pas au courant, la surprise était totale !). En effet au-delà de toutes les qualités de la forme/du premier plan que je vais citer dès maintenant, j'y ai vu aussi sur le fond une intéressante allégorie du cycle de la vie, de l'Humanité, dans ce récit poignant.
Déjà, la forme.
Commençons par évidemment l'aspect le plus sur-vendu (et pour le coup pour une fois je ne vais pas dire qu'ils ont abusés car légitime) à savoir la photographie de ce bon vieux Roger et sa volonté (avec Mendes) de pondre sa propre 'Corde'. Cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti l'impression d'une utilisation aussi justifiée et utile, servant autant le récit et l'ambiance, au-delà d'une simple démonstration de force des chefs opérateurs sur la majorité des récents films/séries de ces 10 dernières années, abusant du concept.
Effectivement le film se veut tout sauf spectaculaire (... la plupart du temps), et cherches plutôt un exercice de style dans le réalisme (même si les plus historiens d'entre nous affirmerons sans problème qu'on est encore loin de la réalité), afin de rendre l'action, et surtout l'ambiance, immersive et réelle. Et même au-delà. J'y vois une volonté de montrer/faire vivre cette guerre "silencieuse", où ça se battait de très loin, où l'on voyait très rarement l'ennemi de manière proche, etc... M'amenant à dire au final que les passages les plus intéressants et ceux qui provoquent le plus de tension pour moi sont ceux justement où nos protagonistes sont... Seuls. C'est là toute l'idée de représenter la peur de l'inconnu, la peur de la guerre, la peur qu'à tout moment un ennemi resté en retrait peut poper et se mettre à nous canarder. À tout moment. Et dans cela, l'idée d'avoir mis en scène l'action en plan séquence brille. On n'a pas le temps de souffler ni se poser sur ses lauriers, c'est le but. Les soldats ne l'avaient pas non plus. Et déjà rien qu'avec ça, émotionnellement, on est prisonnier dès les premières 10 minutes (une fois l'introduction passée).
Après oui effectivement sur le reste du film, on retourne plus dans de la démonstration de compétences pour accentuer le spectaculaire, mais le boulot est tellement impeccable que je ne peux que respecter.
Et forcément qui dit photographie dit non seulement image mais aussi lumière. Et pour le coup Deakins arrive (presque !) à sortir de ses habituelles lumières chaudes et diffuses (du feu, de l'orange, de la poussière, TOUJOURS PLUS DE CHAUD ET DE DIFFUS) pour tenter de nouveau truc, avec une ambiance lumineuse plus réaliste (souvent en lumière naturelle), terne, grisâtre voir froide, à l'image de la poussière des cendres et des explosions recouvrant le pays à l'époque, avec quand même parfois quelques propositions techniques absolument fabuleuses (oui je parle notamment de la séquence de nuit, mais j'y reviendrais, car j'ai trouvé ça lourd en sens), où malgré la contrainte du plan séquence lorsqu'on part lumière, il arrive à proposer quelque silhouettes et clair/obscur, une variété dans les ambiances en fonction du décor, etc. Et malgré plusieurs moments où il retombe dans ses habitudes, j'applaudis quand même le monsieur pour essayer de sortir de sa propre zone de confort.
L'ambiance donc, principal point du film (car malgré son récit, on ne va pas se cacher que c'était le point N°1 sur la note d'intention), réussie à mes yeux. On regretta certes parfois des tranchées un peu trop propre (et pourtant quand on voit la gueule du no man's land, on a envie de dire le contraire, donc au pire on peut justifier que la tranchée propre de la fin c'est tout simplement parce qu'elles sont neuves et que la bataille n'a pas encore commencée), mais sur le reste, en plus des éléments suscités, j'ai trouvé ça très crédible. On avance dans des décors très anxiogènes, hantés par la mort, la peur et les rats, ne pouvant que renforcer la tension permanente qu'on subit, et l'idée qu'on est tout sauf dans un film de gloire/d’héroïsme de guerre, mais plutôt dans celle du fond du trou, celle d'une guerre qui dure déjà depuis 3 ans. Encore une fois l'idée d'avoir utilisé le plan séquence sert, car cela montre qu'on peut passer du paradis à l'enfer (littéralement les 3 premières minutes) en l'espace de quelques secondes, permettant de véritablement dessiner cette ambiance terrifiante, froide, et décourageante (à l'image de 100% des soldats rencontrés). Choisi d'avoir cuter d'un lieu à l'autre aurait fait perdre cet effet, car on aurait pu se dire que les personnages on peut être vraiment fait beaucoup de route, alors que pas tant que ça. L'idée est presque au final de produire un panoramique de la guerre (et particulièrement celle-là), dans toutes ses formes (les tranchées, le no man's land, les champs, un village, un bunker, etc...), tout en cherchant à prouver que l'ambiance et le ton reste pourtant le même d'une 'zone' à l'autre (cf. même dans un paysage idyllique et paisible, on y voit de la guerre et de la mort : le combat d'avion).
Et forcément dans ça, vient un point que je n'attendais pas du tout : La musique. Elle reste très anecdotique dans son thème (même après réécoute), malgré 2 morceaux très forts, mais dans son utilisation... C'est très fort. Entre une mélodie continu et inquiétante ponctuant les passages anormalement calmes ou encore les envolées durant les moments de bravoure, forcément, on plonge direct dedans. Il est vrai qu'à certains moments, il y avait des passages 'étranges' dans l'utilisation (mais faudra que je revois pour situer), mais honnêtement j'ai trouvé ça étonnamment plus que bon (alors que je m'attendais à quelque chose de très silencieux, le rythme n'étant ponctué que par les sons diégétiques, mais ce n'est pas du tout le cas).
Enfin donc dans tout cas, vient le récit. Un récit que je vois pour l'instant rappelle beaucoup Gravity, cad selon certains ce genre de film qui relève de la performance mais dont le propos tient sur un post-it.
Alors dans les fait, officiellement, oui, c'est vrai que l'histoire de 1917 tient sur un post-it. Mais est-ce une mauvaise chose ? À l'école on t’apprend que tu peux créer une histoire à partir de 3 mots, donc à partir de là... C'est ce qui en ressors qu'il faut plutôt prendre comme un tout. Au-delà de l'allégorie que je vais développer juste après ça, j'ai trouvé à ma plus grande surprise le récit très prenant... Sur la fin en tout cas. En effet la première moitié j'avoue m'en foutre un peu des personnages, même d'une mort, car je suis plus intéressée par le spectacle proposé que véritablement ce qu'on me raconte. Mais au fil du récit, et par tous les éléments que j'ai précédemment cité qui m'ont vraiment envoyé totalement dans le film, je dois avouer que 2/3 passages à la fin m'ont clairement pris émotivement (et vu que c'est tellement rare que ça arrive, il fallait que je le souligne !), me faisant réfléchir à la sortie du film sur l'ensemble de ce récit, et d'essayer d'y voir plus loin.
Et il se trouve qu'après une rapide réflexion j'y ai vu une sorte d'allégorie du cycle de la vie (voir de l'Humanité) que je vais vite fait essayer de traduire (sous spoilers ofc) à la va vite :
En effet dès la première seconde jusqu’à la dernière, j’y vois la vie, de la naissance jusqu’à la mort, d’un Homme. On commence donc dans cette nature paisible, silencieuse et calme, représentation de la naissance de l’espèce humaine, née sur cette même terre, avant de retrouver notre personnage principal au pied d’un arbre, probablement signe, en plus du symbole de l’arbre de la vie, de la racine de la vie (née de la terre). Un personnage que beaucoup qualifie de tête de poireau, mais je trouve que c’est justement très bien personnellement, d’avoir choisi un acteur au charisme d’huitre ne ressemblant à rien de spécial, car il est au final tout ce qu’il y a de plus lambda. De plus humain. Chapeau au casting et à la gestion des A-listers d’ailleurs vu que j’en parle. Bref. Une naissance donc, avec ce ‘bébé’ qui va commencer le chemin de sa vie, qui va se voir ‘habiller’ dès son enfance de responsabilité et d’une destinée (les soldats recevant leur mission et les équipements) intrinsèquement dû/lié aux relations familiales (la mission provoqué car son co-équipier est le frère de Blake). L’enfant va alors au début avancer dans sa vie un peu contre son gré, se demandant un peu ce qu’il fait ici (Will qui se demande pourquoi il est retourné à la guerre), mais tout en restant dans une zone de confort.
Ce n’est que dès lors de l’adolescence qu’il va vraiment se confronter pour la première fois à la vie (les soldats qui se retrouvent seuls et avancent dans le no man’s land), sa saleté et sa difficulté. Il se blessera, hésitera, mais n’a quand même pas le choix de continuer. Viens alors la maturité et le début de l’âge adulte. Notre être humain pense avoir traversé des années difficiles et semées d’embuches (bon pour le coup je vais pas aller jusqu’à faire un parallèle entre le bunker et l’éducation quand même), pour enfin arriver en terrain paisible et magnifique. Il est désormais grand pour faire tout ce qu’il souhaite. Mais au final il n’a rien vécu, il est naïf. Dans sa naïveté et son innocence, il s’éloignera de sa famille (la perte du coéquipier) pour devoir se retrouver cette fois seul dans la Vie, continuer seul dans ses responsabilités. Le fait que les soldats rencontrent la première fois un allemand à ce moment est décisif. Comme les soldats perdus car recrutés sans expériences qui ne savent pas vraiment comment agir face à un ennemi qui reste quand même un être humain, et bien l’être humain à l’aube de son âge adulte ne sait pas encore comment faire face aux problèmes qu’il va rencontrer. Alors bien évidemment il ne sera pas non plus seul dans sa vie, il va rencontrer des amis, des collègues… Mais ultimement, l’être humain suit sa destinée et doit avancer. Et le temps passe. Et pour cela, quoi de mieux que cette scène des fusées, ne vous donnant pas l’impression pour la première de voir un timelapse ? En effet cet effet de lumière représenterait presque un cycle du soleil/nuit, symbolisant le temps qui passe… Et donc le temps de la vie aussi.
Au fur et à mesure qu’il grandi, il rencontrera de plus en plus de problèmes (le sniper, puis plusieurs allemands, etc…) et de difficultés, mais malgré la tension et la difficulté permanente, l’être humain se réfugie temporairement… Dans la Vie, en donnant, à son tour, la vie (toute la scène où le soldat tombe par hasard sur la fille et l’enfant). C’est, dans la vie comme dans le film, le seul moment de véritable répit pour le héros et le spectateur, où la beauté de la pureté prend le dessus sur la réalité et ses atrocités. Hélas, ce n’est que temporaire (bla bla bla la vie continue, plus cliché tu meurs). Et plus le temps passe, plus les affaires du héros se vident, restent derrière. On pourrait ainsi y voir le premier signe de la vieillesse, celui de l’être humain qui accompli petit à petit ses responsabilités, ses objectifs, mais aussi d’un autre coté se fragilise physiquement petit à petit (il est de moins en moins fort, moins en moins protégé, plus faible, etc…). Il y a sûrement peut-être tout un symbole avec la rivière et ses torrents mais je n’ai pas tant envie de m’enfoncer autant dans la speculation (si ce n’est au moins remarquer le passage où pour remonter à la surface, le héros ‘marche’ (ou dans ce cas s’appuie) sur des corps, les autres, pour réussir, pour survivre. Ce n’est qu’ultimement, dans un dernier effort désespéré, que le héros accompli son objectif et trouve Mckenzie. C’est l’être humain qui, dans ses dernières forces, vient de vivre sa vie jusqu’au bout. Le général renvoyant comme de la merde Will alors qu’il vient quand même de sauver presque 1600 personnes, c’est le symbole que malgré tout tes efforts et tes accomplissements, tu ne resteras qu’un humain qui a vécu sa vie sur une terre qui en a vu des milliards avant, et qui en verra encore d’autres après. L’être humain fini ainsi sa vie, là où il l’a commencé, aux racines de la vie (au pied d’un arbre), à la Terre.
Bref, je comprends beaucoup de critiques et de défauts cités, et je suis d’accord avec certains, mais pour le coup ça a fonctionné sur moi, plus que je l’imaginais. Je l’ai trouvé très bon, et pour le coup rien que pour la scène de nuit et du run final, je m’en souviendrais pendant un moment.