de Adanedhel » Lun 7 Oct 2024 23:48
J'ai vu le film samedi, je l'ai laissé mûrir une paire de jours, et voilà ce que j'en ai retiré, pour ce que ça vaut.
C'est pas un secret ici que je ne porte pas le premier dans mon cœur, et que j'avais aucune envie d'en voir une suite. Il y a un point qui me rendait curieux cependant, c'était cette histoire de comédie musicale. J'avais peu confiance en Todd Phillips pour réussir à lui donner forme, pour autant, ça promettait une suite qui tentait au moins une approche différente, ce qui vaut mieux qu'une suite copié collé...
Et donc, première chose que je peux en dire, contrairement au premier film qui m'avait passablement énervé (à cause de sa prétention, de son propos rendu confus voire nauséabond par une mise en scène constamment à côté de la plaque, de sa mécompréhension totale du personnage de Batman dans la seule scène qu'il allait tirer directement de la mythologie du personnage...), celui-ci m'a majoritairement... ennuyé.
Il s'y passe pas grand chose, il ne raconte pas grand chose de neuf sur ces personnages... Le film est découpé en trois axes qui s'entrecroisent, la partie carcérale, qui est sans doute la moins ratée, l'ambiance poisseuse y fonctionne particulièrement bien, la partie procès, qui manque à mon sens d'impact, de rebondissements (notamment à cause d'un Harvey Dent très transparent), et la partie comédie musicale, d'une mollesse assez embarrassante, les morceaux musicaux ne décollent jamais, les décors à l'ancienne ne sont rien de plus qu'un gimmick suranné, et la mise en scène manque dans ces moments de la virtuosité inhérente au genre, censée apporter une harmonie entre les images et la musique.
Le film a quelques qualités, j'en ai relevé trois, tout d’abord sa photographie, on a comme sur le premier un superbe travail de lumière et d’ambiance crasseuse, ensuite il s’évertue à tenter des choses très différentes par rapport au premier film, en terme de style, de structure. C’est pas toujours très réussi, ça l’est même quasi jamais, mais au moins ça donne une forme de légitimité au projet plutôt que d’être une suite purement opportuniste qui remâcherait la même recette.
Et enfin je voudrais dire merci à Todd Phillips, qui donne raison à tout le rejet que j'ai pu avoir du premier film en réalisant un film complet pour reconnaître qu'il a fait n'importe quoi en glorifiant un dangereux tueur en série dans le premier film, et en faisant de cette suite une démonstration de pourquoi le Joker n'est pas un exemple à suivre à l'attention de toute la frange du public (notamment les incels) qui a fait du personnage un emblème. Le soucis étant que, certes, il essaye de corriger ça en montrant le côté pathétique du personnage, mais il ne peut pas s'empêcher de continuer à le glorifier dans plusieurs scènes du film, preuve s'il en est que Todd Phillips n'est pas un réal qui réfléchit sa mise en scène et qui connaît les codes du langage filmique (ce qui est pas dramatique en soi, mais dans ce cas tu réalises des comédies ou des films d'action,qui peuvent être funs via d'autres procédés que de la mise en scène, tu réalises pas des drames sociaux, des films de procès, des comédies musicales, qui demandent un tant soit peu de réflexion).
En plus de cette ambivalence sur le personnage du Joker, la confusion perdure au niveau du propos social. Le premier film se voulait dénoncer l’oppression d’une classe dominante sur un peuple au bord de la rupture, mais en montrant ce peuple se ranger derrière un tueur en série, il induisait le message insidieux pernicieux que les riches, c’étaient un peu des salauds, mais qu’au moins ils maintenaient l’ordre, contrairement à ce peuple sans visage avide de sang. Ne devant pas prendre pour de la malveillance ce qui peut être attribué à de la bêtise, je me rangeais jusque là de l'avis que ce propos pernicieux venait de maladresse manifeste dans la mise en scène, mais les déclarations du réalisateur lors de la récente grève des scénaristes m'ont quelque peu fait revoir ma position sur la question... Quoiqu'il en soit, ici ce peuple est quasi absent, relégué à quelques plans de foule devant le tribunal, le peuple de Gotham, assez central au premier, n'est plus un sujet du film, et donc cette confusion perdure.
Autre soucis, le personnage d’Harley Quinn. Lady Gaga est très effacée, chaque scène ou presque où elle apparaît elle sert de faire valoir à un Joaquin Phoenix omniprésent (et autant j'avais été impressionné par son jeu dans le premier, autant ici il en fait des caisses...), mais le vrai soucis tient au renversement des valeurs du personnage, qui passe de victime des manipulations du Joker devenant figure d'émancipation, à manipulatrice, pas très malin quand tu veux te détacher d'une frange toxique du public qui a tendance à se percevoir comme victime des femmes...
Je suis partagé sur la toute dernière scène du film. Sans dire que je l'avais vu venir, l'idée m'avait traversé l'esprit dès la première apparition du personnage tant il m'a fait penser, physiquement, au "joker" de la série Gotham. Là aussi on sent un côté repentance en mode "je sais que le perso a rien à voir avec le Joker mais c'est parce que c'est pas le Joker c'est lui qui inspirera le vrai Joker qui aura idôlatré Arthur Fleck à tord"... d'un côté l'idée me déplaît pas mais d'un autre ça fait un peu rafistolage pour justifier d'avoir fait n'importe quoi avec ce qu'est censé représenter ce personnage... et puis du coup j'ai encore plus envie de dire que deux films entiers sur le mec que le Joker prendra en exemple, j'en ai un peu rien à faire. Et je peux pas m'empêcher de me dire que c'est du rafistolage, parce que si c'était vraiment ce que Todd Phillips avait en tête, ça aurait été la fin du premier film, pas de cette suite improvisée...
Une question, également, me traverse l'esprit en voyant le film : pourquoi est-ce qu'il a coûté trois fois plus cher que le précédent ? En l'état rien ne le justifie, tant il ne fait rien de plus sur le plan visuel (surtout qu'on a deux décors majoritaires, la prison et le tribunal, là où le premier bougeait un peu plus de mémoire, et les décors des scènes fantasmées sont faites pour être cheap, ce sont des scènes assez étroites, et faites aussi pour ressembler à du studio, donc je les imagine mal justifier une telle hausse de budget... c'est con parce qu'en coûtant aussi cher que le premier, même avec le box-office assez cata qu'il se tape il aurait pu au moins break even)
Bref c’est particulier j’ai l’impression de voir un film où Todd Phillips me dit « non mais tu avais raison de trouver le premier à vomir dans son message » donc ça devrait me rendre un peu content mais il le dit avec tout aussi peu de talent et autant de confusion donc je reste perplexe.
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